Le 01-08-2008, en sortant de Zagreb.
La traversé de la banlieue ouest en arrivant m'a laissé un si bon souvenir que je ressors de la ville à pied. J'avais repéré un grand parc sur une carte, je ne l'ai jamais trouvé car je me suis égaré. Je me retrouve au nord-est de Zagreb alors que je pensais prendre la direction de l'est. Ca ne me perturbe pas vraiment. Habituellement, lorsque cela m'arrive ou que je me laisse guidé par les pieds, je fais souvent des rencontres surprenantes : un renardeau dans un champs après une sieste, Khatloona la femme qui embrasse les arbres, une vieille dame bien ronde qui me dit que je me trouve sur la bonne route alors que je ne savais pas où j'allais... Bref, lorsque je me rends compte que je ne me suis trompé, je décide de continuer dans cette direction; c'est l'heure du repas et un pompiste m'a indiqué un restaurant à deux ou trois kilomètres.
A deux ou trois kilomètres, je trouve bien un restaurant au bord de la route à l'entrée d'un village. Je tombe ici dans un "traquenard". A la fin du repas, deux Croate d'une trentaine d'années m'offrent une bière. Je ne les sens pas très à l'aise pour parler en anglais; j'accepte donc pour les mettre en confiance. J'ai bien envie de discuter avec eux.

Parfois confusément sous un rayon lunaire,
Un soldat se détache incliné sur l'eau claire ;
Il rêve à son amour, il rêve à ses vingt ans !
Printemps de guerre
Antoine de Saint-Exupéry
J'entame la deuxième binouze alors qu'ils terminent leur troisième ou quatrième, je ne sais plus. Marco et Alen c'est leurs prénoms, Marco c'est le plus balaise, Alen l'est aussi. Ce dernier a passé quatre mois en prison en Serbie. Je vois et ressens leur émotion. Je leur demande s'ils ont tué des personnes tout en allumant une cigarette qui m'a atterri dans la main ― je n'avais pas fumé depuis des mois. Ils ne dirons rien mais la réponse donnée par leurs yeux humides est claire. Je soupire profondément en leur souriant. Les mots que m'a dit un jour une amie me passent par la tête : "Laisse les autres vivre leurs émotions". La discussion continue sur des sujets divers : l'amour, les femmes, les enfants... Alen insiste plusieurs fois pour que je n'aille pas en Serbie, il s'inquiète.
Nous passons l'après-midi ainsi à discuter et à boire les différents spécialités alcoolisés du pays. Nous chercherons avec Alen un hôtel pas cher que nous ne trouverons pas. Fatigué par les effets de l'alcool et du tabac je me résigne à dormir dans un hôtel bien au-dessus du budget habituel.
Le sommeil est mauvais et le réveille est très difficile, mal de tête et nausée m'accompagnent toute la matinée. J'avance péniblement quelques minutes avec le sac qui me semble peser des tonnes. Je m'assoie en terrasse d'un café.
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Poèmes saturniens
Paul Verlaine
Paul Verlaine