mercredi 23 septembre 2009

Un convoi pour Zenica


Le 03-08-2008, Zenica, BOSNIE-HERZEGOVINE

Je rejoins Zenica à bord d'un convoi de deux minibus italiens en route pour le sud de la Bosnie. Cela m'amuse, je repense au nombre d'italiens qui me sont passés devant sans s'arrêter. Il fallait donc simplement quitter l'Italie pour se faire prendre en stop par un italien. C'est un groupe de jeunes catholiques rayonnant de bonheur. "Ils vont jouer avec des enfants bosniaques", la formule me surprend. Je ne pose pas plus de questions. Je profite de la joie que je ressens à leur contact. Deux jeunes filles me regardent avec de grands yeux plein d'admiration, de grands yeux qui m'aspirent doucement. Un flux de sensations agréables parcourent de façon continu le long de la colonne vertébrale. Je me surprends à espérer qu'ils m'invitent à rester avec eux. Je descends à Zenica. Je me retrouve seul sur le bord de la route, le coeur serré par la perspective de perdre ces sensations. Non, ce n'est plus une perspective, elles ont déjà disparues. Je prends une grande respiration avant de me diriger vers un garagiste pour demander la direction du centre ville. Cette légère mélancolie m'accompagne en arrière plan pendant quelques centaines de mètres. En même temps, je me réjouis de pourvoir observer tout cela. Dans le livre que je lisais à ce moment là, "Se libérer du connu" de J. Krishnamurti, le phénomène de désir est particulièrement bien décrit.

Je me trouve à droite et non pas au milieu
Je m'arrête dans un parc, où je mange un morceau sur un banc. Je vois des arbres, quelque personnes que j'intrigue plus ou moins qui le traversent. Ce parc n'est pas très bien entretenu. Non, ce parc n'est pas aussi bien entretenu que les parcs dont j'ai l'habitude en France. Les fleurs sont rares, les pavés sont défoncés un peu partout par les racines des arbres. Il semble dépérir. Etrangement, il est aussi plaisant qu'un "joli" parc. Un jeune homme m'aborde alors que je désinfecte une petite plaie. Je ne sais plus comment décrire ces moments "magiques" où quelque chose de profond se passe sans que l'on puisse l'expliquer. Nous ne parlons absolument aucune langue en commun mais l'impression de le comprendre était si forte. Son désir de communiquer semble animer tout son corps. J'ai l'impression qu'il a une multitude de questions à me poser. En lui souriant, je sens dans une poche de pantalon, le "Phrasebook" (petit livre de poche contenant la traduction d'expressions courantes). Je le sors et le lui tends. Nous passons plusieurs minutes à parcourir ce livre. Nous n'apprenons pas grand chose l'un sur l'autre mais il me quitte visiblement satisfait de cette rencontre. Moi aussi.

En fin d'après-midi, je me trouve de l'autre côté de la ville au bord d'une route à attendre qu'une voiture s'arrête. Après une heure, je décide d'y aller à pied. Je retrouve sur le chemin un jeune bosniaque, un boulanger de 18 ans que j'avais déjà croisé un peu plus tôt. Cette fois-ci, je l'aborde et lui demande où la route mène. En apprenant que je veux aller à pied à Sarajevo et que je ne sais pas où je vais dormir, il a l'air inquiet. D'après lui je ne risque rien mais il ne veut pas me laisser partir. Je lui demande pourquoi, il n'est pas capable de répondre. Il me dit de le suivre, c'est ce que je fais. Son anglais est très basique. Il m'amène dans un hôtel; nous retraversons la ville dans l'autre sens. Il aurait voulu m'héberger mais sa mère et sa soeur auraient peur de dormir avec un étranger. Je lui pose des questions sur sa religions, il est musulman. Il n'a pas les mots pour s'expliquer; il regarde et fait des signes vers le ciel et la terre puis vers le centre de sa poitrine. Il me répète plusieurs fois qu'il doit venir avec moi car ils ne parlent pas anglais dans l'hôtel où l'on va. Ce qui s'avère être faut. Je dois rester prudent concernant ce que me raconter les personnes. Quelqu'un peut paraître sûr d'elle et avoir tord. L'hôtel est tenu par des russes qui parlent très bien l'anglais. Une ambiance très différente.


"Je peux regarder l’objet du désir, éprouver le désir, et m’en tenir là, sans aucune interférence de la pensée."
J. Krishnamurti

jeudi 3 septembre 2009

Fier comme un camion!


Le 02-08-2008, à la terrasse d'un café à Bosanski Brod, BOSNIE-HERZEGOVINE

Hier fût le jour de mon premier camionneur. Après une promenade d'une vingtaine de kilomètres en campagne toujours sous le soleil, je rejoindre en fin d'après-midi une station essence en bord d'autoroute. C'est là que je l'ai rencontré. Je me tenais bien droit, le sourire au lèvre, l'auto-stop-board à la main — vous vous souvenez? le classeur en plastique que j'utilise comme une ardoise pour inscrire la destination. Détendu; j'avais repéré un terrain réservé aux campeurs pour passer la nuit. C'est à ce moment qu'un grand blond costaud m'adresse la parole sans s'arrêter de marcher et me fait comprendre qu'il reprend la route dans une demi-heure tout en pointant du doigt un magnifique camion rouge. Ce que je prends comme une invitation à y embarquer.

Il mange un morceau, nous buvons un verre ensemble et je me retrouve à deux mètres au-dessus du sol dans la cabine du camion. Je m'étonne de la sensation de domination et de puissance que cela procure. Nous parlons peu, il ne parle pas anglais. Nous essayons de communiquer; c'est bien difficile. Je comprends qu'il est Bosniaque, qu'il rejoint sa femme et son fils dans quelques jours. Pour le reste je ne suis sûr de rien. Nous quittons la Croatie dans la nuit au sud au niveau de Slavonskie Brod. Nous attendons des heures à la frontière alors que les voitures défilent sur les voies d'à côté. Je passe la nuit confortablement allongé sur l'un des lits superposés de la cabine.


Dés le début du trajet il me propose rapidement une cigarette. N'étant pas à l'aise j'accepte pour créer un lien alors qu'au fond de moi je n'en veux pas, mais à ce moment le désir de ne plus me sentir mal à l'aise, de ne plus avoir cette sensation désagréable est plus fort. Avant de nous quitter, il m'offre un paquet que je ne sais pas refuser de crainte de le vexer. Je manque de volonté, je ne sais pas dire non. Si j'apprends à me sentir détendu dans n'importe qu'elle situation je n'aurais plus à accepter de cigarettes, de verre d'alcool ou tout autre palliatif pour essayer de faire disparaître cette sensation. Je ne veux plus être dépendant de cela. Voilà ce que je pense aujourd'hui avec la gorge qui gratte et qui me met de mauvaise humeur. Comment faire pour ne pas oublier tout cela lorsque je ne me sens pas bien, confortable comme je voudrais me sentir tout le temps?

Bosanski Brod est une petite ville bien animée juste au sud de Slavonskie Brod, du côté Bosniaque de la frontière. J'y passe la journée. Quatre jeunes m'invitent en terrasse. Je m'installe avec eux. Ils me proposent une bière. J'avais toujours en tête ce que je viens d'écrire dans le paragraphe précédent; une chance! Après un moment qui m'a semblé duré bien longtemps, je refuse tranquillement. Durant ce moment, j'ai eu l'occasion de voir ce qui s'est passé dans ma tête. Les arguments pour accepter et pour refuser, les souvenir de sensations de détente dues à l'alcool et les maux de tête, se sont enchaînés quelque fois même avec violence. Tout cela mélangé aux réactions négatives qu'un refus pouvait provoquer chez ces jeunes. Dans ce genre de situation, je finissais habituellement par dire "oui" pour faire cesser cette agitation intérieur. Cette fois là j'ai voulu essayer autre chose, le "non" : "I don't drink alcool" — je ne bois pas d'alcool. Rien de toutes les réactions négatives que j'avais imaginées ne se sont produites. Ils ont juste proposé un jus d'orange en s'étonnant simplement que je ne boive pas de bière. En entrant dans le camion rouge, j'ai eu une sensation de domination des autres, cette fois-ci ce fût aussi une sensation de domination mais de moi ou plutôt de cette partie qui se trouve en moi mais en laquelle je ne me reconnais pas.

Je reste un moment à déguster ce jus d'orange comme une victoire. Nous parlons de beaucoup de choses, ce que je pense de leur pays, de ce que je faisais avant de voyager, de ce qu'ils veulent faire plus tard. Ils sont plein d'énergie et bien agréable sauf celui qui se trouve juste à ma droite. Il ne parle pas anglais, les autres traduisent ce qu'il dit en ne manquant pas de me répéter qu'il est fou. Ce garçon me compare à l'un des chefs de guerre qui participa aux génocides dans la région, visiblement à cause de ma barbe. Nous continuons sur d'autres sujets. Mon voisin de droite revient sur ce criminel à plusieurs reprises, il mime des gestes obscènes. Il est visiblement saoul. Je m'étonne de ne pas m'en offenser. Je lui offre à plusieurs reprises des cigarettes du paquet que le camionneur m'a donné certainement pour voir sa réaction. Je finis même par lui donner tout le paquet ce qui ne manque pas de le troubler. Ils me déconseillent tous d'aller à Sarajevo et au Kosovo, les serbes sont dangereux. Le "fou" me fait un signe de la main comme pour se trancher la gorge. Je lui sourie, je leurs sourie. Je leur répond par un simple : "I will see" — je vais voir. Cela les rassura comme j'avais pensé, et c'était vrai je n'avais encore rien décidé.


Pour trouver ce que je cherche, je dois savoir ce que je cherche. Voilà ce que tout le monde semble penser... Est-ce bien là ma Vérité? J'en doute.
Lorkan